Carte postale de la France, le Périgord ne renie pas son passé anglais. Promenade dans les bastides, tout près de Bergerac, où l'on oublie Jeanne d'Arc et retrouve Aliéner
Poser ses bagages à l'Hôtel Edward Ier, face aux remparts de Monpazier, bastide du Périgord. Elle était anglaise, Monpazier, fondée par le roi Edward il y a sept cents ans. Elle hébergera, beaucoup plus tard, Lawrence d'Arabie (à l'ancien Hôtel de France), qui parlait «d'une ville rectangulaire, plus régulière que des villes américaines». En fait, Monpazier et les bastides voisines sont nées ici bien avant l'Amérique, quand le Périgord était anglais. Leurs rues se croisent en damier, leurs halles sont au centre, entourées d'arcades pour le commerce, et l'église est à l'écart, fortifiée souvent. Des «villes illuminées par le talent», dira Le Corbusier. Loin des foules de Sarlat et de Lascaux, Monpazier est classée grand site national. La ville, calme, est belle comme un décor de film de cape et d'épée. En passant les remparts, juste devant l'hôtel, des petites rues, toutes droites, décorées de trèfles et de coquilles pour la fantaisie. Rue Saint-Jacques, la Table d'Aliéner vend d'excellents confits, des foies gras, et, sous la halle, le marché fermier, des asperges et des fraises de jardin. Un petit tour au marché et l'on boira un café au soleil. Chez le marchand de journaux, on choisit «Sud-Ouest» ou, plus amusant, et plus «ambiance», «The News», le mensuel anglais made in Périgord. Un douze-pages avec annonces immobilières et articles d'actualité sur la France. Vous pensiez rencontrer les enfants de Cro-Magnon ? Ils y sont. Les Anglais aussi, oublieux de Jeanne d'Arc, amoureux d'un pays qui fut le leur. Ils sont un peu partout en France, c'est entendu. Mais, en Périgord, ils seraient 2 000 résidents permanents, selon Mr. Clin Bond, rédacteur au «News». Ce qu'ils aiment ? «Les vieilles pierres, le vin de Monbazillac, la bonne bouffe...», dit Emma-Jane Bentley, colon. En quittant Monpazier, la départementale passe à Montferrand. Déjeuner d'omelette aux cèpes et brownies aux noix à Lou Peyrol, l'auberge de Thierry et Sarah, un couple franco-britannique. Puis, à Beaumont et Molières, on retrouve un petit air de famille: deux autres bastides avec leurs églises-forteresses. Beaucoup moins léchée que Monpazier, Molières a l'air comme oubliée au milieu des châtaigneraies. Mais demandez la «Promenade des Anglais» et vous verrez des cottages et des amours de jardins, soignés par les Phipps, les Jackson... six familles qui ont financé le petit Musée des Traditions locales. Soirée calme à Monpazier, avec dîner à l'Hôtel de Londres. Il n'y aura pas de brunch dimanche matin mais, en longeant les eaux du Dropt, une promenade à Villeréal et Eymet, bastides toujours. A Eymet, on s'arrête sur la place aux Cormières, très belle. L'agence immobilière de Mr. John Costall est à deux pas et, cet après-midi, on jouera au cricket au stade municipal. Hommes en blanc, très smart, et five o'clock tea en fin de partie. Il pleut ? Tant pis pour le match et, puisque les Anglais s'y retrouvent, le déjeuner à la Bonne Etape est joyeux, avec plats périgourdins ou anglais, au choix. Puis, à 16 heures tapantes, rendez-vous sous la halle de Villefranche-du-Périgord. Il y a foule et des cèpes et girolles en pagaille. On tourne, on choisit, on achète. La cueillette arrondit bien les fins de mois des paysans. Et fait le bonheur des restaurateurs comme des touristes. La pluie a fait pousser les champignons. Pour une fois, on la bénit et l'on comprend pourquoi les Anglais aiment tant ce pays.
Marie-Martine Gras LE NOUVEL OBSERVATEUR |