Terre de Breughel et d'Ensor, de Magritte, du «grand Jacques», de Julos Beaucarne et de Maurane, la Belgique a le sens de la réalité et du grotesque, de la poésie et de l'humour décapant. La bonne chère, les belles blondes houblonneuses et le rire tonitruant, elle connaît!

 

Maimédy. Nichée au creux de collines et de bois, cette petite ville respire le charme, l'hospitalité et le calme. Mais quatre jours par an, la ville semble soudain prise d'une frénésie irrépressible. Les Malmédidis ont alors la folle en tête et se lancent dans le сarnaval le plus joyeux de la Belgique francophone : «lu Cwarmê (Carême) d'Mâm'di» !

 

Lu Cwarmê d'Mâm'di

 

Préparées des semaines à l'avance, les festivités commencent le samedi pré­cédant le Mercredi  des Cendres.  En début d'après-midi, en grande pompe, le bourgmestre transmet, pour quatre jours, ses pouvoirs à un personnage vêtu d'écarlate, le «Trouv'lê», le Prince Car­naval, qui va régner en maitre jusqu'au soir du Mardi Gras. Après la passationdepouvoirs, le cortège humoristique qui accompagne le «Trouv'lê» parcourt les rues de la cité et sedisperse enfin d'après-midi dans les divers (et nom­breux) cafés de la ville où l'on dansera jusque tard dans la nuit.

 Le dimanche, vers 13 heurs, les rues sont noires de monde. Ils sont des milliers à venir assister, dans une atmosphère bon enfant de fête populaire, au rondeau des «Haguètes». Ces Haguètes, des ligures masquées et velues d'invraisem­blables bures de moine, sont armées de «happe-chair», des grandes pinces articulées, avec lesquelles elles saisissent les spectateurs par les chevilles, les obligent à mettre un genou au sol pour demander pardon de leurs fautes, sous les rires de la foule. Ensuite vient la grande parade car­navalesque de centaines de participants avec ses chars, ses fanfares et ses groupes costumés. Parmi eux, les «Sau­vages» («savadges» en wallon), comme se les représentaient nos ancêtres, les «Arlequins», les «Longs-Nez», les «Pierrots» qui lancent des noix et des oranges aux enfants. Une fois le cortège passe, Malmédy se déchaîne avec la grande «bâne corante» (bande cou­rante) ! C'est la sortie mouvementée, exu­bérante de tous 1rs groupes ou individus masques qui se répandent dans la ville, créant un vrai carnaval des rues ! En proie à la fièvre du carnaval, tout Mal­médy danse et chante dans les bistrots jusqu'au lever du jour !

Le soir du Mardi Gras. tous les acteurs et tous les spectateurs se retrouvent une dernière fois pour assister au brûlage de la Haguète qui met fin aux folles journées de Malmédy. Mardi Gras. Quatre heures du matin. Binche endormi est encore plongé dans une nuit d'encre. Pourtant, ici et là, des fenêtres s'allument.

 

Binche «fait le Gille»

 

 Soudain on entend dans les rues des roulements de  tambours  qui  vont  en  s'enflant.  Ci  et  là,  les tambours s'arrêtent devant des maisons d'où sortent des hommes, en sabots, aux costumes de lions multicolores et ornes de dentelle d'une blancheur éclatante. Leurs visages sont recouverts de masques à lunettes vertes et à leurs cein­tures rouges ci jaunes pendent une dizaine de clochettes. Vers 7 heures, les «Gilles» ont pris possession de la ville qui se réveille prisonnière, consentante, du carnaval. Les Gilles vont danser tout le jour.

L'après-midi, les 900 Gilles, les grands-prêtres du carnaval, ôtent leurs masques et coiffent leurs célèbres et superbes chapeaux à plumes d'autruche. Leurcortège sonore et dansant progresse alors lentement à travers la foule en fête qu'ils bombardent d'oranges. À la nuit tombante, le carnaval de Binche arrive au comble de la frénésie. Alors qu'éclatent les pétards et les feux de Bengale, toute la ville, en transe, va danser jusqu'à l'aube, au pas des Gilles et au son des tambours et des fanfares.

 

raymond gevaert

Le français dans le monde / № 305