Une monnaie unique

 

L'euro est né. Que vive l'euro ! Même si le sommet européen de Bruxelles a bravé, le 2 mai 1998, les lois de la génétique en donnant à cette monnaie unique deux présidents, deux pùres qui se partageront le premier mandat de la Banque centrale européenne.

 

Il a fallu douze heures de tractations peu glorieuses pour aboutir à une décision sur la présidence de la Banque centrale européenne (BCE). Ce n'est pas la premiùre fois que bisbilles et psychodrames entachent un sommet européen. C'est plutôt la rùgle. Mais cette fois, les laborieuses négociations qui ont abouti au compromis boiteux Duisenberg-Trichet ont presque fait oublier l'essentiel. Onze pays européens se sont lancés dans une aventure commune sans précédent autour de la monnaie unique, mais c'est la bagarre franco-allemande autour du président de la BCE qui a monopolisé l'attention. Les Allemands voulaient Wim Duisenberg, qui était le candidat des gouverneurs de banques centrales de l'Union européenne pour un mandat fixé par le traité à huit ans. Les Français, qui ne voulaient pas que l'homme le plus puissant de l'Europe monétaire soit désigné par ses pairs, maintenaient la candidature de Jean-Claude Trichet. Querelle politique autour du rôle et du pouvoir de la banque centrale ? Sûrement, mais c'est aussi une querelle de clocher, puisque rien ne distingue Duisenberg de Trichet hormis leur nationalité : leurs compétences sont reconnues par tous et leurs philosophies monétaires sont voisines. Bonnet blanc et blanc bonnet, la tête de BCE se retrouve donc avec deux couvre-chefs : Wim Duisenberg sera le premier président, mais il partira aprùs quatre ans pour, officiellement, « des raisons personnelles », Jean-Claude Trichet prenant ensuite le relais. « On ne rit pas », a déclaré Jacques Chirac en présentant aux journalistes cet arrangement. Quatre jours plus tard, lors du sommet franco-allemand à Avignon, il était bien obligé au moins d'en sourire devant les caméras avec Helmut Kohi, qui faisait contre mauvaise fortune bon cœur. À cinq mois des législatives, le « compromis pourri », selon l'expression de la presse allemande, affaiblit en effet le chancelier, déjà en mauvaise posture. Finalement, les promoteurs de l'Euroland sont apparemment tous contents. Normal, puisqu'ils veulent montrer que la naissance de l'euro, c'est Noël au mois de mai. Dans la crùche, le taureau allemand est un peu fatigué et le coq français un peu trop arrogant, mais une nativité, c'est toujours émouvant. Quant à l'euro, son accouchement a peut-être été douloureux, mais vu la réaction des marchés financiers, il n'est pas né, lui, sur la paille !

 

Françoise Rey

LE FRANÇAIS DANS LE MONDE  N° 298