Représenter lafrancophonie sur un planisphère ne va pas de soi. Selon
que l'on considère l'aspect politique, sociolinguistique ou purement
linguistique de cet ensemble, laface du monde s'en trouve changée...
Voici quelques clés pour savoir de quoi parlent les cartes que vous
pouvez consulter.
À
qui voudrait s'informer sur la francophonie, au lieu d'ingurgiter une
longue et fastidieuse liste de pays participant ou non au sommet, on
conseillerait volontiers la consultation d'une carte en souhaitant que
celle-ci permette d'un seul coup d'œil d'embrasser le concept, contenu
et contenant. Cette approche, en apparence anodine, se révèle plus
intéressante et moins rébarbative qu'on aurait pu le supposer. Sous les
cartes apparait une réalité complexe.
Une
vision extensive
La
carte éditée par
l'Année francophone internationale,
le
CIDEF, l'Université Laval, Aulis et diffusée par l'AUPELF UREF et
distribuée lors du dernier sommet francophone qui s'est déroulé à Hanoi
en novembre 1997, s'intitule « l'Univers francophone ». Cette carte
s'orne d'ailleurs d'un semis d'emblèmes circulaires aux cinq couleurs de
l'AUPELF comme autant de soucoupes volantes venues d'un au-delà de
l'univers déjà francophone rendre visite à notre vieux monde.
La
légende distingue sur la carte les 49 pays-États ou gouvernements
participant au sommet, les pays partiellement de langue française ne
participant pas au sommet, les invités spéciaux du sommet et les
départements et territoires français d'Outre-Mer.
Le
néophyte découvre enfin qu'entre les pays francophones et le no man's
land des pays du monde qui ne sont rien du tout, il y a les pays de
langue romane, dont on comprend, puisqu'ils sont signalés par une
coloration vert amande, que, sans appartenir à la francophonie, ils
entretiennent quelque rapport avec cette notion. Ils sont un peu du même
monde. Sur cette carte, le Mozambique lusophone fait partie d'un cercle
plus proche du centre que la Mandchourie.
Si
l'on y regarde de près, par exemple, on s'aperçoit que la catégorie des
« pays partiellement de langue française ne participant pas au sommet
», signalée par un coloris d'un parme discret, n'est représentée que
par un seul pays, ce que l'ambiguité orthographique
du singulier du mot
pays
ne permet pas de comprendre d'emblée. Ce seul pays, c'est
l'Algérie.
On voit bien que ce qui nous manque, pour comprendre de
quoi il s'agit, c'est une légende, qui nous permette de replacer le
concept de francophonie dans un contexte socio-linguistique Sans être
spécialiste de la question, on se doute bien que le caractère
francophone du Sénégal ne doit pas être de même nature que celui de la
Belgique ou du Val d'Aoste.
À lire la carte il nous semble que sous le terme de
francophonie sont regroupés, de manière assez confuse, à la fois de
États, des territoires, des régions ou des départements qui, tous, ont
en commun un certain rapport à la langue française. Par exemple on
découvre avec surprise que font partie de la francophonie à la fois la
Belgique et la Communauté française de Belgique, le Canada, le Québec
et le Nouveau Brunswick. Les critères retenus sont avant tout des
critères politiques alors qu'il nous faudrait en utiliser d'autres pour
parler de situations socio-linguistiques.
La présence du français, dans les pays concernés, est
évidemment largement historique. Sur les 49 des États cités, 26, donc
plus de la moitié, ont été des colonies françaises, dont 18 en Afrique,
2 au Maghreb (plus l'Algérie) et 3 dans la péninsule indochinoise. Si
l'on considère que la France compte également, avec ses départements
d'Outre-Mer, d'autres territoires coloniaux (Guadeloupe, Martinique,
Guyane, Réunion, Polynésie française, Nouvelle-Calédonie) cela porte le
nombre de francophones issus de la colonisation à une large majorité.
Pourtant, si la Moldavie figure au rang des États et gouvernements
francophones, les territoires et départements français n'apparaissent
pas toujours de façon explicite, puisque français et non pas
francophones. Pourtant, on ne manque pas de battre le rappel des
Césaire, Damas, Chamoiseau pour la littérature, de Kassav ou de Malavoi
pour la musique quand il s'agit de donner à la francophonie des lettres
de noblesse.
Une
vision sociolinguistique
La carte, mise au point par le Haut-Conseil de la
Francophonie et diffusée par Nathan, tente de donner une vision
sociolinguistique de la francophonie en établissant des catégories au
sein des pays francophones, selon que l'on y parle plus ou moins
français. Cinq catégories sont ainsi distinguées : les régions où l'on
compte de 1 à 5 % de locuteurs de français, de 5 à 10 %, de 10 à 30 %,
de 30 à 80 % et plus de 80 %. Cela évite au moins d'énoncer des
demi-fausses vérités à la formulation ambiguë telle que « le Zaïre
(Congo) avec ses 30 millions d'habitants est le plus grand pays
francophone d'Afrique », ou bien encore d'effectuer des calculs
pernicieux pour aboutir à des chiffres faramineux de centaines de
millions de francophones dans le monde en additionnant les populations
de tous les pays concernés.
Cette carte présente la francophonie, justement, dans le contexte
général des grandes langues ou groupes de langues dans le monde. On peut
ainsi distinguer le substrat linguistique africain sur lequel, par un
jeu de rayures plus ou moins larges, on a fait figurer la proportion de
locuteurs français. C'est d'ailleurs l'occasion de constater qu'au Zaïre
dont il était question plus haut, les Zaïrois parlent diverses langues
africaines, et, dans une proportion de 5 à 10 %, le français. Par le
même jeu de fond et de rayures, on montre que l'Inde parle
principalement l'hindi mais aussi l'anglais, l'Ontario l'anglais et en
moindre proportion le français, l'Angola des langues africaines et du
portugais. Ici, le Mozambique n'est pas un pays de langue romane, mais
un pays africain colonisé par des lusophones.
Une
vision
politique
La
carte publiée par l'ACCT se contente de colorer en vert les pays et
régions de la liste officielle des instances francophones et en teintes
plus claires les pays observateurs conviés lors de précédents sommets.
Il s'agit en l'occurrence de la Pologne, de l'Albanie et de la
Macédoine. Cela permet de visualiser, à l'intérieur d'une Europe de
l'Est uniformément grise, cette francophonie du troisième cercle, dont
les pièces du puzzle s'imbriquent inexorablement.
Une
vision
linguistique
La
carte de la francophonie qui figure dans le manuel de A. Valdman et C.
Pons,
Branché sur le monde francophone,
témoigne d'un souci véritablement linguistique puisqu'elle établit une
distinction entre langue maternelle, langue nationale, et langue
d'enseignement. Ils distinguent donc entre pays (ou régions où le
français est langue officielle et/ou langue maternelle, pays (ou
régions) où le français est langue officielle ou administrative ; pays
où le français est langue d'enseignement, iles où le français est langue
officielle et/ou maternelle, minorités francophones, départements et
territoires d'Outre-Mer.
Ces
distinctions sont essentielles, car elles seules permettent de se faire
une idée concrète et réelle des implications de la présence de français
dans les différentes sphères, économiques, sociologiques, éducatives.
On peut en déduire que le français peut s'apprendre, lorsqu'on est
francophone, de plusieurs manières : naturelle, pourrait-on dire,
lorsque cette langue est maternelle, ou bien contraignante lorsqu'elle
est un passage obligé pour accéder au savoir et qu'alors elle
conditionne le devenir économique des individus. De ces situations,
assez nombreuses comme on peut le constater sur la carte, a dû naitre la
notion de langue seconde, qui regroupe toutes les situations où le
français est supposé connu, plus ou moins selon les pays, selon les
régions, selon les classes sociales. Il est
bien
évident que le français n'est pas, pour un enfant burkinabé, une langue
étrangère comme elle peut l'être pour un élève japonais qui apprendrait
le français au lycée. Mais, de surcroît, cet enfant burkinabé aura plus
ou moins de familiarité avec le français selon qu'il vit en ville ou au
village, selon que son père est médecin ou paysan, selon que dans son
environnement le français est d'un usage courant ou réservé à une élite
alphabétisée. Il est, en Afrique notamment, des familles de classes
aisées où le français se pratique dès l'enfance, en même temps qu'une
langue nationale, tandis que dans la même ville, dans la même rue,
d'autres enfants parlent une langue vernaculaire, parfois même deux
ainsi qu'une langue véhiculaire, et savent aussi quelques mots de
français. Ces deux enfants aborderont le même cursus scolaire avec des
atouts et des handicaps de départ opposés.
Cette carte canadienne nous permet d'aborder cet aspect des choses
essentiel, car elle nous dit qu'il y a bien des manières d'être
francophones, que certaines sont un privilège, d'autres un choix, voire
un plaisir, mais il arrive aussi que ce soit une situation imposée. Mais
aucune carte ne nous informera jamais de cette inégalité de fait devant
la langue, devant l'apprentissage, devant l'accès au savoir.