Le pays de cocagne de la Belgique? La Gaume, dans l'extrême sud du pays. Ardoise et schiste ardennais ont laissé place à une pierre calcaire couleur miel. Les maisons portent, parfois, des tuiles canal, rondes et orangées. Le paysage est doucement vallonné, l'herbe tendre sur les prairies. Le microclimat a donné naissance à la vigne, la seule de Belgique, que l'on cultive sur les coteaux de Torgny. Où se trouve aussi la plus jolie halte locale à l'enseigne de La Grappe d'or.

Jacques Boulanger, ex-prof à l'école hôtelière, s'est mis à son compte dans cette demeure aux chambres rustiques, avec décor raffiné, cave alléchante, cuisine précise et fine. Et ses assiettes de champignons aux ravioles de pieds de porc, turbot grillé à la mousseline de homard et raifort, tournedos de biche à la réglisse et banane cloutée à la vanille font passer un joli moment.

Evidemment, le pays d'ici est plus connu pour sa bière. Celle de haute fermentation et de haut goût que les moines trappistes font fabriquer en l'abbaye d'Orval. On visite les cuves de brassage, les ruines médiévales et le bâtiment d'habitation Arts déco. On suit, sur vidéo, la fabrique du fromage de vache à croûte lavée, qui s'apparente à notre tamié. On peut acheter les bonbons au miel fabriqués à demeure, tout comme le pain paysan à mie grise.

La bière, en version populaire? C'est le propos de la famille Gigi, qui, dans le paisible village de Gérouville, depuis quatre générations, mitonne une blonde et une brune de haute fermentation dans des conditions pittoresques. Raphaël Gigi est au cuvier et à l'embouteillage, tandis que ses deux frères livrent les habitants des environs, qui se contentent de laisser les casiers vides au-dehors. A croire qu'en pays gaumais on boit la bière comme du lait !

Gourmandise encore et signe de la pureté du pays : les truites qu'élève Robert Anselme, dans ses étangs de pisciculture près de Virton. Cet ex-militaire de carrière, installé ici depuis quinze ans, affirme que «l'eau de la Gaume est plus pure qu'ailleurs, moins alcaline". D'où la finesse de ses truites fario, ombles de fontaine, arc-en-ciel ou saumonées.

Ancien bûcheron, éducateur et horticulteur, Claude Peignois est devenu, lui, choucroutier à mi-temps, selon la saison, produisant le chou cabus à feuilles blanc et vert. Mais aussi, à deux pas de son atelier du village d'Ethe, restaurateur à l'enseigne joliment nommée Au cœur de la Gaume, où il vend le jambon frotté d'ail et salé au sel marin qu'il conserve un an, sans omettre les charcuteries dont il orne sa belle choucroute, son vin de pissenlit ou ses «touffayes» (pommes de terre au lard et oignons), qu'il accompagne de mirabelles.

Gourmand, rond, rubicond, le Gaumais, comme son chantre, le facétieux Georges Béhin, colossal président du syndicat d'initiative, est farceur et frondeur. Le père de Béhin a créé la confrérie des Zygomars, compagnie de forts mangeurs et de grands buveurs qui raffolent du vin de pomme aromatisé à l'aspérula, que l'on boit lors du Maitrank de la proche commune d'Arlon, et que produit la cidrerie Munaut, sous le nom de Zygomar.

Méridional, ce Nord frondeur et rieur? Il raffole des tourtes épicées (comme ce pâté gaumais fait de porc mariné et relevé dans une belle croûte levée), aime le soleil, les boissons légères et faciles, les banquets d'amis et les repas au coin de la cheminée qui réchauffent.

En 1848, les habitants de la Gaume voulurent devenir français. Leur révolte fut durement réprimée par l'armée. Aujourd'hui, le Gaumais se sent aussi proche de Longwy que d'Arlon, de Nancy que de Bruxelles, et de Paris que d'Anvers. Mais il est belge, quoique de son midi. Sa belle humeur et son bon appétit sont d'ici.

 

par Gilles Pudlowski

11 JUILLET 1998 LE POINT NUMÉRO 1347