Dès le XIe siècle, l'activité du port au bord de la Senne s'était développée au point de rendre indispensable la création d'un marché. Le site d'un ancien marécage bordé de bancs de sable s'imposait par sa proximité avec l'île Saint-Géry, centre administratif de l'agglomération. On le planta de fascines et le pava de gros moellons posés sur de la tourbe. Le sol de ce nedermerct— marché d'en bas — se trouve à quelque 1,4 mètres sous le niveau actuel de la Grand-Place. Fréquentée par les maraîchers des environs, divers artisans, des colporteurs ainsi que des bouchers et des poissonniers, le marché se couvrit rapidement de constructions en bois sans aucun souci d'alignement. Elles étaient entremêlées et les rues convergeant vers la place étaient étroites et rarement pavées. Les premières halles apparurent au XIII" siècle : la halle au pain, la boucherie et, surtout, la halle aux draps, liée à l'essor de l'industrie drapière bruxelloise. Au XIVe siècle, la prospérité de la ville aidant, les autorités urbaines s'attelèrent à la tâche de rénover le nedermerct pour en faire une véritable grand-place. On lui donna, à la fois, une plus grande étendue et un alignement régulier. On la repava, ce qui l'exhaussa, et on généralisa le pavage des rues adjacentes. Mais c'est au XVe siècle, sous les ducs de Bourgogne, que la Grand-Place devint le décor somptueux, digne du rang de capitale. L'hôtel de ville fut achevé par la construction de l'aile droite et l'érection d'une tour de trois étages terminée par une flèche altière. Et tout autour de l'édifice les puissantes corporations établirent leurs maisons. La parure architecturale de la Grand-Place se poursuivit au XVIe siècle par de nouvelles maisons corporatives et la reconstruction de la halle au pain, appelée Maison du Roi parce qu'y siégeaient des tribunaux et des bureaux de taxation. Au XVIIe siècle disparurent les dernières maisons en bois au profit de façades de pierre de style italo-flamand. Centre de la vie économique de Bruxelles, la Grand-Place était aussi le haut-lieu des festivités officielles en l'honneur des princes, des réjouissances publiques, des représentations théâtrales et de l'ommegang qui y déployait le rassemblement final de son cortège. Le 13 août 1695, le général français Villeroy déclencha plusieurs tirs d'artillerie sur la ville. Trois mille bombes et mille deux cents boulets rouges transformèrent la Grand-Place et ses environs en un immense brasier. La tour de l'hôtel de ville, pourtant prise comme cible principale, échappa aux bombes mais l'édifice était la proie des flammes. Les troupes de Louis XIV ne s'emparèrent pas de Bruxelles. Le 24 avril 1697, le Magistrat de la ville décréta un règlement imposant aux métiers des normes strictes pour la réédification de leurs maisons dans une harmonie esthétique. Il en naquit, cinq années après de désastre, une Grand-Place plus belle qu'elle ne l'avait jamais été, revanche éclatante de la fierté municipale sur la barbarie.
(“Discovering Brussels” Georges-Henri Dumont) |