avenue Franklin Delano Roosevelt 86

B-1050 Bruxelles

 

Au moment où la Belgique envisage une exposition universelle en 1910, d'aucuns spéculeront qu'elle se tiendra sur le plateau du Solbosch, à l'époque totalement à la campagne, au S-E de Bruxelles.

L'architecte Léon Delune érigera en 1904 la première maison de la future avenue des Nations pour le compte de Mme Amélie De Grave, avec une entrée principale avenue du Pesage. Très rapidement, avec deux étages de caves et cinq portes d'entrée au rez-de-chaussée, histoire d'en avoir sans doute une donnant du bon côté ! Déjà de la spéculation immobilière…

La propriétaire décédera peu avant l'ouverture de l'expo, en 1907.. Sa sœur, héritière, fait de même un an plus tard et c'est la famille Feys de Furnes qui hérite du château, alors entouré d'un mur d'enceinte.

Emeric Feys, en 1910,  refuse de vendre au comte van der Burght, rase le mur d'enceinte et loue l'édifice aux organisateurs de l'Exposition universelle de 1910.

Sur le plan de l'exposition, on remarquera un rond-point devant l'immeuble !

Ceci explique pourquoi ce dernier, situé au coin de l'avenue des Phalènes et de l'avenue Franklin Delano Roosevelt (le nouveau nom donné, après la guerre, à l'avenue des Nations) ne possedait pas d'accès direct à l'avenue Roosevelt.

 

 

Pendant près d'un siècle, la Ville de Bruxelles y a d'ailleurs (parfois) entretenu les trottoirs et installé un petit parterre de roses et deux bancs.

Cette parcelle a maintenant été revendue au nouveau propriétaire du n 86 de l'avenue Roosevelt qui y a aménagé une nouvelle entrée gazonnée.

Pendant l'Expo de 1910, ce sont des musiciens de jazz noir (les Negro Minstrels d'Alabama) qui occuperont l'immeuble, baptisé pour l'occasion "Le Château". Il y est créé, sous direction de M. L. Ladanyi un Café américain, au beau milieu du jardin des Colonies. Pour la première fois, les bruxellois peuvent y écouter du ragtime.

Le terrible incendie des 14 et 15 août 1910 dévastera les pavillons de l'exposition. L'immeuble Delune, en pierres, sera le seul à y échapper.

Dans les années 1920, l'immeuble subira quelques transformations: les architectes Hobé et Van Nueten reculent la façade arrière de cinq mètres et transforment l'escalier intérieur. Dieu seul sait aujourd'hui pourquoi !

René Feys, sentant venir la guerre, fait ses malles et s'établit définitivement aux USA.

Pendant l'occupation allemande, la Kriegsmarine occupera les lieux.

 

Depuis l'armistice, l'immeuble est resté (théoriquement) vide. Tout ce qu'il contenait (parquets, cheminées) disparaitra au fil du temps. Des cercles universitaires y organiseront de temps à l'autre l'une ou l'autre soirée et l'immeuble sera squatté à maintes reprises. Des trafiquants d'armes semblent avoir utilisé les caves. La rumeur du quartier parle aussi de messes noires.

Le dernier jardinier - qui venait parfois dans le jardin, décèdera en 1990 et c'est en 1995 que M. René Feys vendra l'immeuble à M. Stephan Jourdain.

L'immeuble, sis de biais au cœur d'un parc romantique de 3 000 m² se caractérise par un ensemble de cinq dômes. Un grand aigle, tout doré, haut d'un mètre domine l'un d'eux.

Cet aigle en fonte, volé dans de très étranges circonstances (350 kg, ce n'est pas léger !) a été retrouvé chez un brocanteur et remis en place le 30 juin 1999.

Plusieurs sgraffites décorent les façades.

La mode du sgraffite a envahi Bruxelles dans les années 1900. Basée sur une technique qui remonte à l'antiquité grecque: enluminer les façades avec des mortiers de couleur pour créer des fresques symboliques.

 

 

L'auteur en est Paul Cauchie , dont il faut voir la maison avenue des Francs. Claude Dessicy a eu la chance d'y retrouver, au grenier, les cartons originaux  des projets pour l'immeuble Delune. Grâce à eux, la rénovation a pu être menée de main de maître par l'architecte Francis Metzger.

La maison Delune, forteresse éclectique aux remparts byzantins crénelés d'art nouveau, également connue comme le château Feys ressuscitera sous le nom de "Maison du Bonheur dans le crime". En cause un polar de Jacqueline Harpman qui y place quelques passages secrets…  (Stock, 1993).

L'immeuble a été classé par la Région de Bruxelles-Capitale le 10 septembre 1998.

La plus intrigante des bâtisses de Bruxelles acquise par le promoteur immobilier Stephan Jourdain a été revendue à la Banque Artesia qui envisagait d'y organiser des expositions d'art contemporain de haut niveau culturel.

Il faut vous représenter cette maison en 1908, brillamment éclairée, avec des calèches qui arrivent de partout et des femmes couvertes de diamants et de plumes, quand le quartier n'était encore que prairies à la lisière de la forêt.

 

 

Elle avait été construite par Georges Dutilleul, un banquier qui voulait y donner des fêtes prodigieuses. Il rêvait qu'on se disputerait le privilège d'être invité; il y aurait des intrigues. des déceptions et des victoires.

Mais le jour de l'inauguration, il trouva sur la coiffeuse de sa femme le coffret à bijoux vide et un mot d'adieu.

Elle était partie avec un Argentin aussi riche que le mari et bien plus beau.

Le banquier se tira une balle dans la tête pendant que les premiers invités arrivaient.

La maison, comme vous pouvez le voir, est très grande, et les murs ont des particularités qui font que le son s'y propage mal; on n'entendit pas le coup de feu.

Les domestiques servaient le punch et le champagne  quand le maître d'hôtel, de plus en plus troublé par leur absence décida d'aller à la recherche de M. et de Mme Dutilleul.

Le décor de la tragédie planté, Jacqueline Harpman concoit un scénario balancé de suspense et d'inceste: un médecin curé défroqué sur le tard, tient lieu de confident.

Dans cette sombre intrigue, la maison tient le rôle principal.

Emmma Dutilleul, la nièce du banquier, hérita de la maison l'année suivante parce que 1a fugitive ne survécut pas 1ongtemps à son mari. On a dit qu'elle n'avait pas supporté le climat de l'Argentine. Emma la montra à Godefroid Belmont  son fiancé : il y avait  encore des taches

 

de sang sur le tapis de la chambre. On ne sait pas pourquoi le banquier avait demandé à son architecte de lui faire des chambres et des passages dérobés, et cela est bien agaçant. La maison apparente est doublée d'une maison secrète dissimulée dans les murs et les planchers. Entre le plafond du grand salon et le sol de sa chambre, se trouvait un petit appartement où l'on pouvait à peine se tenir debout. Il y avait deux pièces, dont 1'une fut nommée la chambre aux Juifs et l'autre la chambre aux Anglais. Le plan de cette maison doit être d'une ingéniosité extraordinaire, on ne se doute pas du tout de ce qu'elle recèle, à peine s'il petit advenir que l'on pense, distraitement qu'elle est un peu moins grande qu'on ne le croirait quand on la voit de l'extérieur. Souvent, je me suis demandé ce qui avait pu conduire un banquier honorable, même s'il mourut d'être cocu, à un caprice si curieux.

 

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